Je situerais l'action à 1989, mais c'est à la louche.
J'ai déjà mon CPC 6128, et oh, garçon, c'est peu dire que je suis tombé dedans. Cette addiction, cette manie, cette obsession pour le jeu vidéo et l'informatique (enfin... le jeu vidéo sur ordinateur). Je ne parle quasiment plus que de ça, à la maison, à l'école, il faut minimum Saint Sei... les Chevaliers du Zodiaque pour me sortir des boucles monologuées dans lesquelles je m'envole.
Les mercredis et samedis, ma mère bosse, moi pas, et donc j'ai une "nounou" chez qui je suis déposé et récupéré, et ce depuis déjà pas mal d'années. J'ai plus vraiment l'âge d'avoir une nounou, mais bon : mère célib, pas de famille à proximité, tu vois le truc, bref. Donc : y a le petit-fils de cette nounou, Emmanuel, mon âge je crois, on se voit beaucoup de fait, il vient ou on va chez lui, nos passions divergent quelque peu parfois (je me fous des skate-boards, n'insistez pas) mais il y a quand même des points de convergence. Dont le jeu vidéo, on y arrive.
Sauf que lui n'en a pas, ses parents ne consentent qu'à lui lâcher des jeux électroniques Tiger, et c'est leur dernier mot. Aujourd'hui on voit ça on appelle direct le 119, mais bon, à l'époque, on peut frustrer un gamin, ça se fait, c'est limite valorisé.
Jusqu'à la convergence, une autre : son père est plombier, il a besoin de faire sa compta de façon moderne, alors pourquoi pas un ordinateur, en plus le gosse jouera un peu et il arrêtera de casser les c et donc, il veut acheter un ordinateur.
Et je le sais qu'il va acheter un ordinateur, et j'en dors plus la putain de nuit, un nouvel ordi, je vais pouvoir le voir, le toucher et ça va être incroyable, ça va être un... UN AMSTRAD PC 1512 ???!!

WHAT THE F...

Du haut de mes 9 pommes, faut savoir que j'ai vraiment la sensation de biter quelque chose à l'informatique, et pour moi, les PC Amstrad, c'est dépassé comme jamais on a dépassé quoi que ce soit, pensez : 1986 la date de sortie, c'est y a 3 ans, TROIS ANS ! Je sais même pas à l'époque à quoi peut bien servir ce truc, pour moi l'informatique c'est des jeux, donc y a le CPC, l'Atari ST, l'Amiga, et même je sais que les PC du moment enterrent le 1512... Pour moi dans ce milieu, c'est le dernier qui parle qui rafle la mise, et Amstrad dit plus grand chose depuis... depuis un bail ! Est-ce qu'y a des PC 1512 à Confo ? NON. Bon, ben vous voyez. Donc oui, le mépris, ou plutôt la condescendance, "pauvre fou"...
Mais enfin, j'ai quand même une démangeaison en bas, là, ça reste de "l'ordi", et celui-ci je l'ai jamais eu dans les pognes, je veux voir, je veux toucher, etc.
Et le jour J, je suis fasciné. Je rentre dans cette piaule, y a le lit à gauche, une table / bureau à droite, une chaise, et il est là, il est haut, il est GROS, bordel, je suis en sueur. On s'assoit et Emmanuel me montre.
Ce à quoi j'assiste est de l'ordre de la magie noire : y a ces espèces de grosses galettes molles, là, alors il en met une dedans, puis il l'enlève, et il en met une autre, et PAN !! Rick Dangerous.
Ou PAN !! Chicago 90.
Ce sont ses deux jeux, je pense qu'il en a jamais eu d'autres parce qu'il est beaucoup plus versatile et moins obsédé que moi en général, et il passe vite à autre chose. Ce garçon vit toujours, d'ailleurs, je peux lui demander mais il sait même plus qui je suis à mon avis.
L'autre souvenir c'est la frustration. On est des gosses, DONC on doit aller jouer dehors, c'est comme ça y a pas à discuter, et à l'heure du goûter y a les dessins animés et après y a ma mère.
Donc ce que j'évoque, là, c'est une demi-heure à chaque fois, et y a pas dû y avoir plus de 5 ou 6 fois. En tout.
Mais y a les 2 ou 3 fois. Celles qui restent, celles qui sont toujours là, telles un détonateur accolé à mon palpitant.
Ces fois où Emmanuel est pas encore là, parce qu'il est je sais plus, peut-être au rugby, ou au judo, on s'en fout. Mais moi oui. Et je me retrouve seul, seul face à ce grand truc, blanc, joufflu, et ronronnant, qui détient la potentialité d'un Rick Dangerous, ou de Chicago 90, sauf que jamais son propriétaire ne m'a montré précisément comment y accéder, quelles galettes molles, dans quel ordre...
Et je dois essayer, forcer ma mémoire, tâtonner, échouer, je jure que je tremble, j'ai peur de péter un truc, de faire une bêtise : je fais mes premiers pas chez les grands, aux commandes d'un ordi de grand, un truc "pas pour jouer, normalement" (comme les adultes disent).
Je me souviens d'avoir réussi, finalement.
De m'être fait bastonner par Rick Dangerous, et d'avoir été interrompu, et puis... plus rien.
Et mon cerveau d'attardé mental est resté figé là, oh, pas seulement là : avant ça devant le CPC de la collègue à ma mère, puis plus tard devant l'IBM PS/1 386sx de Guillaume, entre les deux le Conforama de Sébazac, quelques salles d'arcade estivales... j'ai semé des morceaux un peu partout. Mais je sais qu'un jour je vais craquer et acheter un PC 1512 ou 1640, c'est absolument inéluctable.
Pour en faire... rien ! Pour le mettre en route, jouer un peu, juste le sentir, là, sous mes doigts... grosse galette molle, attendre, deuxième galette... Comme une condamnation à perpète, recommencer, ressentir à nouveau.
Ici une chouette vidéo de Rodrik, avec un camarade à lui, qui présente ces bécanes :
Et bordel je peux PAS CROIRE que ces trucs étaient capables de faire tourner Indianapolis 500, comment j'ai pu mépriser ces merveilles alors que les capacités de ces bécanes en matière de 3D enc... ridiculisent les (alors) triomphantes NES, Master System, et même Megadrive dans la foulée.