J'ai rematé La Ligne Rouge de Terrence Malick ...
Sorti en 1998 et réalisé par Terrence Malick, La Ligne Rouge est l'un des plus beaux films de guerre, si ce n'est le plus beau (et le plus grand) film de guerre jamais réalisé. Le réalisateur culte des Moissons du Ciel (1978) nous revient vingt ans plus tard, pour nous mettre la claque ultime. Et si selon moi c'est un film dont on ne parle pas assez, c'est parce qu'il est sorti seulement quelques mois après Il faut sauver le soldat Ryan (1998) de Steven Spielberg. Le film de Terrence Malick a souffert de la concurrence avec le soldat Ryan qui était le grand film de guerre spectaculaire et qu'il ne fallait surtout pas manquer cette année là au cinéma (et bien aidé par une promotion monstrueuse). Et si en effet le soldat Ryan est un grand film de guerre, il ne boxe pas dans la même catégorie que le film de Terrence Malick. Terrence Malick oblige, c'est donc un film de guerre (très) contemplatif et philosophique.
Le retour de Terrence Malick, après vingt ans d'absence, était un tel évènement, que son projet a attiré tous les grands noms du cinéma. Tous les plus grands acteurs se sont battus pour n'apparaitre, ne serait-ce qu'un instant, dans un film de Terrence Malik. Le rôle principal est tenu par Jim Caviezel, mais on a aussi Sean Penn, Nick Nolte, John Cusack, Adrien Brody, John C. Reilly, Woody Harrelson, Jared Leto, John Travolta, George Clooney, Thomas Jane ... la liste est impressionnante. Et si certains d'entre eux n'apparaissent qu'un bref instant, d'autres ont même été purement et simplement coupés au montage (les noms de Mickey Rourke, Gary Oldman, Bill Pullman et Billy Bob Thornton ont été cités). Avec tout ce qu'a filmé Terrence Malick, il aurait pu en faire un film de plus de cinq, mais au final il n'en fera que 2h50 et c'est déjà pas si mal.
Nous sommes en 1942, dans le théâtre Pacifique de la Seconde Guerre mondiale, et les forces alliées américaines débarquent sur l'île Guadalcanal occupée par les japonais. Nous allons alors suivre une compagnie américaine engagée dans la bataille de Guadalcanal, pour atteindre le sommet d'une colline. Dans cette compagnie, le soldat Witt (Jim Caviezel) semble errer en mode "déserteur". Pacifiste dans l’âme, Witt préfère ainsi s'adonner aux plaisirs offerts par l'île paradisiaque que de prendre les armes. Il profite de la nature, entre en contact avec la population locale et commence à remettre en question son utilité dans un combat qui lui paraît tellement absurde et vain ... à quoi bon tout ça, quoi !?
Le film va nous donner accès au questionnement intérieur des différents protagonistes, y compris le sergent Edward Welsh (Sean Penn) chargé de réprimander le soldat Witt, mais dont l'état d'esprit va beaucoup évoluer durant le film. Nous avons le soldat Jack Bell (Ben Chaplin) qui survit grâce à l'amour qu'il éprouve pour sa femme Marty (Miranda Otto). Racontés au moyen de flashbacks, les réminiscences de leur amour absolu lui donne la force de tenir le coup. Nous avons aussi le lieutenant-colonel Gordon Tall (Nick Nolte absolument terrifiant) qui, trop heureux de tenir enfin sa guerre, ordonne de continuer l'attaque de front, malgré de (trop) lourdes pertes. Refusant d'envoyer ses hommes à une mort certaine, le capitaine Staros (Elias Koteas) décide de lui désobéir ...
C'est donc sous la conduite du capitaine Staros, homme droit et humain, que la compagnie va monter au front pour affronter l'ennemi tapi dans l'ombre. L'assaut va occasionner de terribles pertes. C'est le sergent Keck (Woody Harrelson) qui sera le premier à en faire les frais, victime de sa propre maladresse, en se faisant exploser le derrière ... "Oh, Jesus! I blew my butt off. I blew my butt off!". Partout, les soldats meurent pris au piège et impuissants face aux japonais bien protégés dans des bunkers. C'est brillamment mis en scène, pour montrer à quel point l'attaque des alliés est vouée à l'échec face aux japonais et leurs mitrailleuses lourdes. Terrence Malick film camera à l'épaule la violence crue des combats et l'angoisse qui habitent les soldats. Et tout aussi violente, est l'altercation entre le capitaine Staros, bon et humain avec le lieutenant-colonel Tall, ambitieux et irascible. La confrontation entre les deux hommes monte crescendo, jusqu'à son paroxysme ... "How many men is it worth ? How many lives ? One ? Two ? Twenty ? Lives will be lost in your company, Captain. If you don't have the stomach for it, now is the time to let me know". La performance de Nick Nolt est phénoménale, imposant et charismatique, il semble être habité par le rôle.
Comme dans tous les films de Terrence Malick, la voix off a une énorme importance ici. Dans Les Moissons du Ciel, la voix-off était unique (celle de la petite fille), or ici elle est multiple. Elle nous donne accès aux questions philosophiques et existentielles de soldats qui se demandent bien ce qu'ils font là, dans ce cauchemar paradisiaque. En parallèle à cette approche humaine du conflit, nous avons les scènes de guerres violentes et brutales. Nous avons la vie qui s'oppose à la mort, l'espoir face à la détresse, l'homme face à la nature, l'homme face à la croyance ... Les questions métaphysiques sont principalement portées par Witt "le pacifiste" qui voit du bon en toutes choses. La relation Witt - Welsh est en cela passionnante ... "In this world, a man himself is nothing. And there ain't no world, but this one." "You're wrong, I've seen another world. Sometimes I think it was just my imagination." "Well, then you've seen things I never will."
L'amitié qui lie Witt "le pacifiste" et Welsh "le sceptique" est un moteur essentiel du film. Au contact de Witt, Welsh va s'interroger sur le bienfondé de cette guerre. Il l'observe avec une certaine admiration, pour sa sensibilité, son regard sur toutes les choses qui les entoure et pour son courage aussi. La prestation de Jim Caviezel est bouleversante, notamment lors de ce final poignant ...
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Witt se sacrifie pour sauver ses deux camarades lors d'une dernière mission de reconnaissance. Poursuivi par les Japonais, il décide de faire diversion en les entrainant avec lui dans la forêt. Epuisé, il s'arrête au milieu d'une clairière et se retrouve entouré par les japonais. La lumière est magnifique. Il contemple la beauté de la nature et semble être en paix avec lui-même, lorsque les tirs retentissent une dernière fois.
La Ligne Rouge est un film de guerre qui touche au sublime, un poème d'un lyrisme bouleversant qui contraste avec l'atrocité des combats. Adoptant une approche plus philosophique et psychologique des soldats, le film de Terrence Malick dénonce la guerre absurde et destructrice, avec l'homme face à une nature qui peut être tout à la fois, dangereuse et d’une beauté implacable. Il soulève également des questions existentielles auxquelles il est difficile de répondre, mais qui nous font bien réfléchir sur le sens de la vie. La Ligne rouge n’a rien d’un énième film de guerre, c'est le film de guerre ultime et le chef-d'œuvre absolu d'un cinéaste visionnaire qui réalise des films comme on peint des tableaux.